Par Raymond Morin
L’industrie secrète des fausses nouvelles
En 2017, le terme ¨fake news¨ fut élu le mot de l’année par le dictionnaire Collins. Pas étonnant, depuis quelques années ça s’avère un des ¨buzzwords¨ qui ressortent le plus souvent sur le Web et les réseaux sociaux. Aujourd’hui, il n’y a plus une semaine sans que le phénomène fasse l’objet de nouveaux dossiers, et que le sujet occupe les fils de nouvelles.
Ce n’est pourtant pas un phénomène récent. Trump n’a pas inventé les tactiques de fausses nouvelles, de mensonges et de désinformations en politique. D’autres bien avant lui s’en sont allègrement servis pour bâtir leur influence et se frayer un chemin vers le pouvoir. Et, le problème ne touche pas seulement les médias et la politique, mais nous concerne tous en tant que consommateurs. Le phénomène des fausses nouvelles a donné naissance à une véritable industrie. Dans un article paru l’année dernière sur le site de Radio-Canada, Martin Lessard relatait l’enquête d’un journaliste de NPR qui relevait le cas de Jestin Colier qui se trouve à la tête d’un véritable empire de sites de désinformation, comme le Denver Guardian.
Au cours des dernières années, ça n’a fait qu’empirer les relations de confiance pourtant essentielles avec la population. Selon le dernier rapport annuel de l’étude globale Trust Barometer de la firme Edelman, depuis la dernière récession économique (2008-2009), le niveau de confiance de la population envers les quatre principales institutions de la société n’a jamais cessé de décliner, pour atteindre son plus bas niveau historique cette année. Et, plus particulièrement avec les médias, dont la cote de crédibilité a chuté dramatiquement entre 2016 et 2017 : dans 82% des pays recensés on dénote une perte de confiance dans les médias traditionnels, dont 17 pays ont atteint le plus bas niveau de tous les temps.
¨S’il y a tant de mensonges qui sortent de la Maison Blanche, c’est qu’une large part de la population ne fait pas encore la différence entre les faits et la fiction¨ pouvait-on lire récemment sur la page d’opinion de la page Facebook du New York Times. Dans un autre article du National Public Radio (NPR), Tali Sharot, une neuroscientifique de la University College of London qui a étudiée la façon dont on traite les nouvelles informations qui nous proviennent, révèle qu’avec les médias sociaux nous avons tendance à demeurer ouverts aux nouvelles données que si elles viennent confirmer ce que l’on pense déjà, et que, du coup, l’on trouve la façon d’ignorer les faits, même évidents, qui peuvent les contredire.
Selon cette étude, les utilisateurs évaluent l’opinion de chacun aussi valable que celle de l’autre (et finalement, de la sienne), sans considérer l’expertise, parce qu’on se réfère d’abord à l’opinion populaire. Or, les médias cherchent naturellement à amplifier l’actualité, pour en récolter le maximum d’achalandage et de revenus, et manipulent ainsi le ¨vote populaire¨ en leur faveur.
La mince ligne entre le marketing d’influence et les fausses recommandations
Comme le souligne Pierre Trudel, dans un récent article du journal Le Devoir, le phénomène des fausses nouvelles, qui anime autant le débat, repose toutefois sur deux réalités différentes. D’un côté, il y a les parodies humoristiques, parfois tellement vraisemblables et divertissantes qu’elles frisent le génie du ¨storytelling¨, mais de l’autre, il y a les agents perturbateurs et les profiteurs qui grenouillent derrière les rideaux en coulisses pour manipuler l’opinion de la masse et influencer ses décisions en leur faveur. La ligne entre les deux se révèle parfois très mince, et c’est à ce niveau, que la régulation doit remettre de l’ordre.
Toutefois, malgré un meilleur contrôle des organismes responsables, comme le bureau de la concurrence et des normes publicitaires du Canada, et la Federal Trade Commission (FTC) aux États-Unis, certaines marques, et leurs complices, n’hésitent pas à continuer d’user du même stratagème, pour tromper la confiance leurs clientèles avec des faux comptes, des fausses recommandations, et des publicités déguisées. Au point que s’en est aussi devenu un problème de perception du rôle des influenceurs et du marketing d’influence sur les médias sociaux. On continue de confondre l’influence avec la publicité, et de duper le public.

(Source : TheEgg.net)
Au cours des dernières années, plusieurs cas de fausses recommandations sur YouTube, Instagram et Facebook furent cependant débusqués. Il y eu le scandale des influenceurs payés par Microsoft pour faire la promo du Xbox One, puis les blogueurs parieurs du site Counter Strike, et les fameuses histoires de publicités déguisées en recommandations de jeux vidéo sur YouTube, notamment par PewDiePie et ImWildCat, qui perdirent du coup beaucoup de crédibilité et de leur influence auprès de leurs fans.
Plus habilement, il y eut aussi le cas de la jeune Louise Delage, sur Instagram. À l’été 2016, son compte (fictif), qui publiait des photos d’elle aux quatre coins de la planète, profitant du soleil en croisière sur des bateaux ou dans des lieux exotiques, toujours un verre à la main, devint rapidement très populaire et s’attira des milliers de likes par jour. Après quelques temps, l’agence publicitaire BETC commença cependant à semer les indices dans les commentaires qu’il s’agissait en fait de la campagne Like My Addiction, organisée par le Fonds Action Addiction.
Dans certains cas, comme celui-là, qui ne visent qu’à influencer pour sensibiliser, ou d’autres, comme les parodies humoristiques ou les mises en scènes qui ne cherchent qu’à surprendre pour amuser ou divertir, il n’y a heureusement pas de conséquences fâcheuses. Mais, encore trop souvent, des agences de marketing et des grandes marques se font prendre à profiter de la situation et des lacunes du système pour tromper la population. Une fois de plus, il s’agit d’une mauvaise perception du marketing d’influence, qui repose davantage sur la confiance et la qualité des relations.
Pour lire la suite : Les fausses nouvelles : La face cachée du marketing d’influence (2ième partie)
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